Cette nouvelle a été publiée dans le Dragon magazine numéro 1, daté Septembre/Octobre 1991. Elle n'a pas été écrite par Anne McCaffrey, mais par un membre de l'équipe du magazine qui, pour faire découvrir Pern aux lecteurs, a eu l'idée de se mettre dans la peau d'un jeune candidat à l'empreinte. Son aventure se déroule à l'époque du grand évènement qu'a été la première ponte de Ramoth.

Cédric, levé de bon matin, se hâte vers la Caverne Principale pour y prendre un rapide petit déjeuner, Il n'est au Weyr de Benden que depuis cinq jours et subit encore le double charme de la découverte et de l'émerveillement. A table, il se jette avec voracité sur le pain tout en asséchant un bol de klah fumant. La Caverne Principale est immense. A certains endroits, l’éclairage distillé par les paniers de brandons ne permet pas de distinguer le plafond voûté. Tous les gens du Weyr, Chevaliers-Dragon comme résidents des Cavernes Inférieures, mangent ici. Des servantes entrent et sortent des cuisines d'où monte une odeur de klah et de mouton rôti. L'estrade réservée aux chefs d'escadrille est seulement occupée pour l'instant par K'net, le fougueux chevalier bronze. Cédric le regarde avec admiration. Va-t-il, à son exemple, conférer l’Empreinte à un dragon bronze ? Ou à un brun mordoré ? C'dric, chevalier brun, voilà qui sonne plutôt bien. Un coup de coude du jeune Balan le tire de sa rêverie. Il est temps de rejoindre le maître des aspirants : le vieux C'gan n'a guère d'indulgence pour ses élèves distraits ou en retard ! Alors que Cédric sort de la Caverne Principale, le déplacement d'air d'un dragon vert prenant son envol d'une corniche basse lui fait instinctivement baisser la tête. Le jeune homme se mord les lèvres, Un futur chevalier ne doit pas avoir peur des dragons... Il suit du regard le vert et son cavalier qui s'élèvent avec agilité dans l'air frais du Weyr. Un frisson d'impatience le parcourt. Bientôt ce sera son tour !

Cédric garde un souvenir émerveillé de son premier vol à dos de dragon. Troisième fils du maître charpentier Lamur, il n'a connu pendant dix-sept ans qu'une vie rustique dans le Fort de Lemos. Lorsque, six jours auparavant, un chevalier bleu de Benden vint choisir des candidats pour l’Empreinte, sa fascination fut immédiate. Il s'approcha de la bête gigantesque le coeur palpitant. Quand le dragon tourna sa large tête triangulaire vers lui, il sentit son souffle chaud chargé d'une odeur de phosphore. Et le chevalier bleu l'avait choisi. Sur quels critères? il l’ignorait. Le père de Cédric refusa d'abord de laisser partir son fils. Comme beaucoup de Pernais, le charpentier se taisait devant les Chevaliers-Dragons mais les considérait en son for intérieur comme des fainéants improductifs. Ils s'entraînaient, bien sur, mais dans quel but ? Protéger Pern des Fils venus du ciel ? Depuis des générations, le péril ne s'était pas manifesté. L'opinion commune n'y voyait qu'une légende bien commode pour justifier la dîme que le Weyr de Benden prélevait sur les Forts.

Le chevalier bleu dut se montrer convaincant car après quelques palabres, le père de Cédric se laissa fléchir. Le chevalier installa le jeune homme en selle devant lui et le dragon prit son vol. Le bref passage dans l’Interstice paniqua Cédric. Ce froid qui glaçait les os, cette absence de toute sensation était insupportable. Il ouvrait la bouche pour hurler lorsque le dragon fit irruption au dessus du Weyr de Benden. Cédric laissa échapper un cri de saisissement : le Weyr était une immense auge de pierre, un ovale d'environ un mile de long, enserré de falaises abruptes. Les ouvertures d'une multitude de cavernes, donnant sur de vastes corniches où se perchaient les dragons, tachetaient d'ombre les parois rocheuses.

Du paysage se dégageait une impression de majesté tranquille. On disait que Benden était l’un des plus anciens et des plus grands Weyrs de Pern. Il hébergeait quelques deux cents dragons mais ses installations pouvaient accueillir plus du double.

C'gan a rassemblé ses élèves au pied de la falaise et leur montre du doigt l’aire de pâture. Cédric voit le dragon vert déposer son maître au sol puis décrire des cercles au dessus de l’aire. Après avoir soigneusement choisi un bouc bien gras, le dragon l’emporte dans ses serres. Il va déchiqueter sa proie sur une corniche avec l’avidité sanglante typique de sa race. Son maître l’observe d'un oeil attentif. « Vous devrez vous montrer aussi scrupuleux que cet aspirant-vert quand vous aurez conféré l’Empreinte, et toujours veiller au bien-être de votre dragon, déclare C'gan d'un ton docte. Empêchez-le de trop manger, faites sa toilette après chaque repas, et surtout, enduisez d'huile le cuir de sa peau partout où il se dessèche. Ainsi vous éviterez l’apparition de craquelures douloureuses lors des sauts dans l’Interstice. Et maintenant, tout le monde à dos de dragon! »

Pris en croupe par des chevaliers, les candidats à l’Empreinte sont conduits sur une corniche située à mi-hauteur de la falaise nord du Weyr. Il n'existe pas d'escalier pour accéder aux cavernes, La seule voie possible est celle des airs. La corniche, creusée des marques de serres de générations de dragons, donne sur un corridor assez large pour livrer passage aux immenses bêtes. Le couloir aboutit à une vaste caverne naturelle qui constitue l’antre du dragon. Une légère dépression dans le sol marque d'ailleurs la place où dort l’occupant des lieux. De l’antre, un court passage débouche dans la chambre à coucher du chevalier et, au-delà, mène à la salle de bains où une source chaude naturelle procure une eau toujours renouvelée. L'ameublement est sommaire. Table, chaises et armoire en bois pourvoient à un confort spartiate, à peine adouci par les tapisseries aux couleurs passées accrochées aux murs. Les deux couvertures de laine épaisse visibles sur le lit ne doivent pas être superflues, en hiver, dans cette caverne montagneuse ouverte aux vent.

« C'est dans un weyr de ce genre que vous vivrez plus tard » déclare C'gan avec un léger sourire. Il tend le bras: « Dans ce coffre, on range la Pierre à Feu, dans cette armoire, l'huile et les enduits pour dragon. Ceci, » ajoute-t-il en relevant une draperie qui dissimule une ouverture dans le mur, « est un monte-plat. Un mécanisme apporte nourriture et boisson des Cavernes Inférieures jusqu'ici. Il suffit de passer commande. » Il se penche vers l’ouverture et hurle: « Du klah pour C'gan et les candidats à l’Empreinte! »

Tandis que l’écho de la voix de C'gan se perd dans les cuisines, Cédric songe que les Chevaliers-Dragons ne sont pas mal installés. Jamais son père, un maître artisan pourtant, n'aurait pu lui offrir l’équivalent; personne ne dispose d'autant de place dans les Forts, à moins d'être membre de la Lignée régnante. C'est même mieux que dans les Cavernes Inférieures, qui sont pourtant vastes. Cédric pense au logement temporaire qu'on lui a attribué, une chambre individuelle ouverte sur une corniche bordée d'une balustrade, à une demi-longueur de dragon au-dessus de la Caverne Inférieure. Oui, les habitants du Weyr jouissent de certains privilèges, mais il n'est pas juste de dire qu'ils ne travaillent pas. La bonne volonté de Cédric a été employée dés le premier jour: il a eu l’occasion de parcourir la titanesque Caverne Principale, la vaste Caverne des Provisions, où s'entreposent les aliments qui proviennent de la dîme des Forts, la Caverne des Matériaux, avec ses stocks de bois, de métal et de Pierre de Feu, l'Infirmerie, où sont rangés baumes, herbes et décoctions permettant de soigner les terribles brûlures infligées par les Fils. Des corridors obscurs s'enfoncent encore plus profondément dans la montagne. Apparemment, il y a là tout un réseau de couloirs inexplorés où seuls quelques gamins des Cavernes Inférieures s'aventurent timidement pour jouer à se faire peur.

C'gan ramène les candidats vers la corniche, les rugissements triomphants de plusieurs dragons retentissent. Un vert s'élève dans le ciel à pleine vitesse immédiatement poursuivi par trois bleus et un brun, tous sans leurs maîtres. Cédric et ses compagnons observent les évolutions acrobatiques des dragons avant que la crête des falaises ne les cache à leurs yeux.

« Vous venez d'assister au départ d'un vol nuptial » précise C'gan, Les seuls dragons femelles sont les dorés et les verts; les bronzes, les bruns et les bleus sont des males. Les verts, qui sont aussi les plus petits et les plus communs, ont un tempérament amoureux assez marqué. Lorsqu'elles sont en chaleur, elles partent en vol pour s'accoupler avec le premier bleu ou brun qui saura les rattraper. Heureusement la Pierre de Feu les rend stériles, sinon Pern serait bientôt envahie par les dragons.

Les reines dorées sont forts rares et dépassent en taille les plus grands males, les bronzes. Elles ne mâchent pas la Pierre de Feu, ce qui leur permet d'assurer la reproduction de l'espèce en s'accouplant aux bronzes.

C'gan jette sur les adolescents un regard inquisiteur : « Vous souvenez-vous de ce que je vous ai appris hier sur la Pierre de Feu ? Cédric ?
- Oui, je crois. Les dragons ne possèdent pas naturellement la faculté de cracher le feu. Il faut leur mettre la Pierre de Feu dans la gueule. Broyée par leurs mâchoires et attaquée par les acides de leurs estomac elle se transforme en phosphine. Le gaz qui en résulte s'enflamme spontanément quand le dragon l’exhale à l'air libre.
- C'est cela. Mais un dragon ne contrôle sa flamme à la perfection qu'après de nombreux exercices. C'est ce stade qu'il vous faudra atteindre pour combattre efficacement les Fils. Maintenant tout le monde à dos de dragon! Vous allez découvrir l'aire d'éclosion. »

En survolant le bassin du Weyr Cédric voit la surface polie de la Pierre de l'Etoile scintiller au soleil. Il sait que tous les matins. F'nor, second du Weyr de Benden, va se poser sur l'énorme roche. Il guette un mystérieux signal qui annoncera le début de la chute des Fils. Cédric frissonne. Se peut-il vraiment que ce jour soit proche? Le vert qui porte Cédric prend un virage serré face au weyr de la reine Ramoth, le dragon doré, n’est pas visible. Elle doit être sur l'aire d'éclosion. Cédric pense à Lessa, Dame du Weyr et maîtresse de Ramoth. Il a déjà entraperçu une où deux fois cette petite personne énergique. Que fait-elle en ce moment ? Dresse-t-elle des plans pour la défense de la planète ou bien... Ses réflexions sont brutalement interrompues par le spectacle grandiose qui s'offre à lui.

Le dragon vert a pénétré dans une énorme ouverture, à un endroit de la falaise dépourvue de weyrs individuels. Le trou donne sur une Caverne bien plus grande encore que la Caverne Principale. En fait, toute la falaise est creuse. Sur la paroi interne de la cavité, des corniches sont taillées pour recevoir des dragons. Il y a assez de place pour recevoir plus de bêtes que le Weyr de Benden ne peut en héberger. Le sol de la caverne est couvert de sable sur lequel reposent quarante et un oeufs mouchetés, rangés méticuleusement autour d'un oeuf de reine. Ramoth la reine-dragon, observe l'arrivée des candidats en tendant un cou protecteur au-dessus de sa couvée.

Sous le regard vigilant de quelques dragons postés sur les corniches comme des sentinelles, Cédric et ses compagnons mettent pied à terre. Le sable est brûlant : ils le sentent malgré la semelle de leurs bottes.

« Approchez, candidats à l'Empreinte » grogne C'gan, transpirant. Ramoth accepte de vous laisser voir ses oeufs. Nous viendrons ici tous les jours désormais, jusqu’à l’éclosion ».

Cédric, plus ému qu'il n'ose le montrer, s'approche et pose la main sur un oeuf. Il la retire vivement. La coquille est molle : la chaleur du sable, sans doute, la fera durcir à la longue. Cédric allonge de nouveau le bras et pense avec ferveur au jeune dragonnet qui va bientôt briser la coquille. Vert ou brun, bleu ou bronze, peu lui importe. Cédric veut seulement devenir à son tour un Chevalier-Dragon de Pern !

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